Quand les résidents évoquent leur bien-être…

dr_leon_tourianPar Michel Dongois le 25 octobre 2013 pour L’actualité médicale

Le Comité du bien-être des résidents de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) est particulièrement actif ces temps-ci. Son président, le Dr Léon Tourian*, fait le bilan des principaux dossiers en cours.

Transition vers la garde des 16 heures

« Ce type de garde est de plus en plus accepté, en dépit d’une certaine perception chez les résidents qu’il diminue leur temps d’exposition clinique. En dépit aussi de la perception, chez plusieurs patrons, que les résidents sont moins vaillants que leurs aînés. »

Le sujet reste chaud, poursuit le Dr Tourian, mais il est admis que des gardes trop longues, celles de 24 heures, sont néfastes pour la santé. Les discussions portent désormais sur la façon de mettre en place la garde des 16 heures le plus harmonieusement possible. « Nous en sommes rendus aux ajustements sur le terrain. Les demandes d’assouplissement proviennent, pour l’essentiel, des départements chirurgicaux, de la médecine interne et familiale et de l’obstétrique-gynécologie. »

Le Québec est la seule province à avoir obtenu la garde des 16 heures. « Nous allons à la fois apprendre de cette expérience pour nous-mêmes et en faire profiter les autres. » Le Comité du bien-être desrésidents va présenter sous peu sa réflexion à l’Association canadienne de psychiatrie.

Le suicide chez les résidents

« Le problème, c’est qu’on ne dispose d’aucune donnée ou alors, les chiffres sont scellés », affirme le Dr Léon Tourian. On avance habituellement celui de deux à trois suicides par an, sur les quelque 3200 résidents du Québec. La FMRQ va aborder ce sujet tabou dans son bulletin de janvier 2014.

« Qui sont les résidents qui s’enlèvent la vie ? Étaient-ils en détresse sans avoir su à qui s’adresser, ont-ils hésité ou tardé à aller chercher de l’aide ? Quelle part accorder au milieu de travail et aux difficultés personnelles, en sachant que des problèmes académiques peuvent aggraver le tout ? » Les questions sont bien plus nombreuses que les réponses, selon le Dr Tourian. Sans parler de la grande difficulté à détecter les résidents à risques.

Les autorités médicales, poursuit-il, reconnaissent les problèmes d’intimidation et ceux de santé mentale (épuisement professionnel ou détresse psychique). « Mais en ce qui concerne le suicide, c’est encore le silence. Un petit nombre de suicides, peut-être, mais qui ont un impact majeur sur l’entourage des résidents et les autorités médicales qui se demandent invariablement : avons-nous manqué quelque chose ? »

La tournée des programmes

Le Comité du bien-être de la FMRQ effectue dès cet automne, et durant toute l’année universitaire, la tournée des programmes de résidence, à l’invitation de leurs directeurs. Il va viser spécifiquement les programmes plus petits, ceux qui ne comptent qu’une poignée de résidents, comme ceux de neurochirurgie ou de biochimie médicale. « Nous allons voir quelles actions sont possibles dans ces petits milieux, où les résidents craignent de parler librement, sous peine d’être immédiatement identifiés. »

La FMRQ s’est par ailleurs associée aux travaux du Réseau universitaire québécois pour la santé des résidents et des étudiants en médecine. Outre les fédérations de résidents et d’étudiants en médecine, il regroupe les bureaux d’aide des quatre facultés de médecine et le Programme d’aide aux médecins du Québec.

Les prochains combats

Le thème de la parentalité figure à l’ordre du jour des dossiers à venir. Il occupe déjà l’un des 10 chapitres de l’énoncé de positions de la FMRQ en matière de bien-être des résidents. Comment faciliter la transition entre la famille et la résidence ? « Jongler avec les enfants et le travail, c’est une réalité de ma génération. Au moins, le congé de paternité est acquis. C’est déjà ça. »

Autre cheval de bataille, le retour progressif au travail pour les résidents en congé de maladie, surtout pour raison d’épuisement professionnel ou de dépression. « Une transition graduelle est de mise, tout le monde s’entend là-dessus. Mais comment l’organiser en sachant qu’un retour trop rapide peut favoriser les rechutes ou les récidives ? »

Là encore, les générations de patrons changent, poursuit le médecin, elles s’ouvrent davantage aux nouvelles valeurs sociales, en autant qu’il y ait des balises claires. Et puis, selon lui, les jeunes médecins ont bien compris, et intégré, qu’ils logent à la même enseigne que le commun des mortels, en matière de santé personnelle. « Le discours moderne sur les médecins, beaucoup plus sain et réaliste, évoque moins l’idée du piédestal social, qui nous empêchait d’aller chercher de l’aide en cas de détresse. »

Aux États-Unis, selon le Dr Tourian, plusieurs facultés de médecine ont ouvert une clinique de santé pour les résidents. Une clinique non associée à la faculté, pour une confidentialité accrue. « Partout, on constate une poussée vers le bien-être des résidents. Cela dit, c’est sûr que quand tu paies des frais de scolarité de 50 000 $ par an, comme aux États-Unis, tu t’attends à recevoir des services. »

Des services, certes, mais quels services ? Le Dr Tourian a mené, en 2012, un sondage maison auprès des 1100 résidents de McGill. Environ 300 y ont répondu, et 75 % d’entre eux affirment ne pas avoir de médecin de famille. « Leurs enjeux principaux de santé, selon leurs dires, tournent autour du manque de temps pour faire du sport et d’une nutrition qui laisse à désirer. Ce qui va assez bien pour eux, nous disent-ils, c’est le temps consacré au sommeil et la socialisation (amis et vie familiale). »

Trois questions au Dr Léon Tourian – Les limites de l’autoréglementation

Au-delà de ses fonctions de représentant syndical à la FMRQ, le Dr Léon Tourian se sent préoccupé, en tant que citoyen, par la question de la responsabilité sociale des médecins. C’est qu’il voit bien les limites de l’autoréglementation de cette profession. « Nous allons devoir réévaluer ce que nous apportons vraiment à la population et mesurer notre état de disponibilité envers elle. » Entrevue.

Quand vous dites « qualité de vie », la population décode « moins de disponibilité, donc moins de services », non ?

Notre génération va devoir en effet se poser la question. Nous, résidents et jeunes médecins, sommes pris dans l’engrenage d’un changement de culture. Nous sommes coincés entre, d’une part, les valeurs d’une génération de médecins qui a travaillé très fort, nous léguant une profession forte, bien organisée et très bien rémunérée, et d’autre part, nos valeurs à nous, qui voulons conserver ces acquis tout en y ajoutant la qualité de vie.

Il nous revient de trouver la façon de concilier le tout, de maintenir des conditions d’emploi généreuses et une meilleure qualité de vie, tout en livrant les services que la population a le droit de recevoir.

Donc, oui, la question de la disponibilité à la profession se posera de plus en plus pour les jeunes médecins.

Comment vont-ils rétablir l’équilibre ?

Peut-être que les futurs médecins vont devoir justifier d’un certain nombre de patients à suivre, d’un certain temps minimum à consacrer à leur profession. Il existe déjà des pressions pour qu’on voie plus de patients. En psychiatrie en tout cas, le débat est lancé. La rémunération des médecins devra être reliée à leur apport réel à la population, mesuré par le nombre de patients vus.

Le temps a montré que l’autoréglementation des médecins ne suffit plus, car plus les listes d’attente s’allongent, et plus les patients souffrent. Nous, médecins, devrons aussi comprendre que le climat économique n’est plus le même qu’au moment où les médecins ont obtenu de fortes augmentations de revenus. L’État ne pourra pas toujours faire plus et la population va exiger de recevoir les soins. Notre profession va devoir s’ajuster.

Qui, dans la profession, doit mener le débat sur cet ajustement ?

Le gros de l’effort doit venir des syndicats médicaux, puisque c’est grâce à eux qu’on peut dire : «Mission accomplie, on a les sous ! » Passons à présent à l’étape de la reddition de comptes, de la responsabilité sociale. Le grand enjeu de notre génération sera de faire preuve de sens civique, au sens de livrer la marchandise à la mesure de tout ce que nous recevons de la société. On en est rendu là dans notre réflexion et qui, mieux que les syndicats, peut la mener ?

* R6, effectue un fellowship en pharmacologie et en toxicologie au CUSM.

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