Quand le sport devient une forme de «conversion»

Publié le par drboukaram

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Par Michel Dongois le 16 septembre 2014

Louis Vaillancourt, triathlète et professeur à la faculté de théologie et d’étude religieuses de l’Université de Sherbrooke

Que signifie l’engouement, parfois excessif, pour le sport? «Une façon pour la personne de reprendre sa santé en main et, ce faisant, de retrouver un sens à sa vie», répond Louis Vaillancourt, triathlète et professeur à la faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke. Sa thèse de doctorat portait sur les rapports entre la religion et l’écologie. Entrevue.

Est-ce exagéré de dire que le sport, d’un point de vue sociologique, occupe, du moins en partie, l’espace laissé vacant par la religion ?

Non. Le sport a effectivement remplacé d’une certaine façon les rituels religieux; c’est flagrant avec le hockey, le football américain ou le baseball, par exemple. Là, les héros sportifs tiennent lieu de saints et les stades sont les nouveaux temples. Ces sports professionnels concernant quelques joueurs actifs et une immense foule passive, s’apparentent clairement au rôle que jouait la religion d’hier.

Dans la Grèce antique, les premiers jeux olympiques étaient avant tout une cérémonie religieuse. Les athlètes n’étaient pas là pour impressionner les spectateurs, ils voulaient impressionner leurs dieux. Au 21e siècle, la spiritualité se vit désormais, en très grande partie, hors des grandes traditions religieuses, et parfois dans le sport, entre autres.

L’individu se livre à une pratique d’activités sportives en vue d’atteindre une santé globale et d’avoir une meilleure qualité de vie. Cela est particulièrement vrai pour les activités sportives pratiquées dans les milieux naturels, lesquelles reflètent aussi une préoccupation pour l’écologie, le respect de l’environnement étant désormais l’un des ingrédients actifs de la spiritualité moderne. La randonnée en montagne, par exemple, conjugue santé, conscience écologique et sensibilité à la transcendance.

Pour certains, l’intégration de la pratique sportive se vit comme une forme de conversion. Cas classique : un homme de 40 ans qui ne faisait aucun exercice physique régulier se met soudainement à la course à pied. Il court de façon régulière, puis, y prenant goût, il augmente progressivement les distances jusqu’à essayer le demi marathon, voire un marathon. Mais cela va plus loin et initie en lui tout un processus de réorganisation de vie : le voilà qui modifie son alimentation, porte attention à la qualité de son sommeil, rencontre de nouvelles personnes, etc. Le sport peut ainsi aider la personne à
se recentrer et à trouver une voie unificatrice.

Elle change de vie, en somme…

Oui, ça peut vraiment être tout un renversement dans le mode de vie. Parfois, c’est un problème de santé (crise cardiaque, problème de cholestérol ou autre) qui induit cette «conversion» où le sport devient le pivot central d’une vie. Parfois aussi, c’est fortuit, comme avec ces femmes dans la quarantaine qui se mettent à l’exercice pour retrouver une apparence plus jeune. L’être humain a un désir de dépassement et d’unité, et le sport se prête bien à l’actualisation de ces deux dimensions.

La pratique d’une activité sportive régulière peut ainsi en venir à conditionner tout le reste de la vie. Bien sûr se pose ensuite, pour certains, la question de la constance, de la durée dans l’effort, mais plusieurs arrivent à installer une saine routine sportive dans une vie quotidienne par ailleurs souvent très chargée. Bien sûr aussi, toute conversion comporte un danger d’absolutisation, de fanatisme, d’excès. C’est faire preuve de prosélytisme que de vouloir convaincre tous ses collègues de se mettre au jogging par exemple, parce que, c’est bien connu, hors du jogging, point de salut !

Le sport prend-il le contrepied des religions traditionnelles?

Oui, dans la mesure où le christianisme d’hier, du moins celui qu’on nous a enseigné, établissait une séparation du corps, quand ce n’était pas une négation ou une mortification. Le corps ne participait pas à la dimension spirituelle de l’être, il fallait s’en couper pour accéder à la transcendance. Or, sous l’influence de l’Orient notamment, le sportif contemporain récupère, rapatrie la dimension corporelle de la spiritualité, qui se vit par l’expérience des sens, en retrouvant le mouvement.

C’est là une démarche d’incarnation, une dimension de profondeur de la corporéité. C’est là aussi toute une rupture d’avec le dualisme qui a prévalu pendant plusieurs siècles. La personne qui se met au sport vit désormais une dimension plus holistique, se ressent comme un tout indissociable. C’est le retour à l’unité, où l’on retrouve la triple dimension corps, âme, esprit. Faire du sport engage la personne toute entière, et pas juste la tête.

L’attrait du sport est-il un simple phénomène de société ou un enracinement durable?

Je ne crois pas que ce soit une simple mode. Je suis un adepte du triathlon depuis 20 ans; si, dans les années 1980, nous étions quelques-uns à en faire, aujourd’hui, nombre de villes organisent un triathlon, et dans le cas de l’«Ironman», il faut s’inscrire un an d’avance pour y participer. Vive la mode, si les gens se mettent ainsi à faire de l’exercice physique!

La résurgence de l’activité sportive est aussi un réflexe sain. Comme professeur d’université, je ne me verrais pas mener toute une vie assis devant un ordinateur. Il y a quelque chose de sain et d’équilibré dans ce désir de faire contrepoids à la sédentarité. Notre société cérébrale et cartésienne, où tout est de plus en plus mécanisé, appelle, comme compensation, à mettre le corps en action, en renouant avec nos sens menacés. Hier encore méprisé et aujourd’hui menacé par le style de vie occidental, le corps retrouve, par le mouvement, toute sa noblesse; l’être se déploie dans toute son intégralité. N’oublions pas que les mots salut et santé ont une étymologie commune.

Après l’asphalte, n’y a-t-il pas aussi une tendance, chez les adeptes de la course à pied, à courir sur la terre, dans les bois?

On recherche effectivement de plus en plus le contact direct avec la terre. Les sportifs qui courent en forêt renouent à la fois avec eux-mêmes et avec la nature. C’est une boucle qui se boucle. L’être humain en mouvement redevient un avec lui-même et avec le monde qui l’entoure. Il se réunifie.

Faire du sport, c’est décider d’aller à contre-courant d’une société sédentaire. N’y a-t-il pas là un côté «révolutionnaire»?…

Oui, car dans l’exercice physique, la personne reprend le contrôle de sa vie, se réapproprie son existence corporelle et devient plus respectueuse de ses rythmes personnels; sa décision consciente de pratiquer un sport contribue à contrecarrer les maladies de civilisation induites par un style de vie pathogène (stress, mauvaise qualité de sommeil, malbouffe et surconsommation de médicaments). Cette reprise en main de sa propre santé se joue en dehors du système officiel de santé, conçu davantage pour réparer les dégâts que pour empêcher l’apparition de défaillances prévisibles.

Le sport n’est-il pas souvent dénaturé par la performance à tout prix?

Hypertechnicité, performance à l’extrême et dopage, tous les moyens sont bons en effet pour dépasser les limites et devenir champion, jusqu’à mettre sa santé en danger. Pour décrocher une médaille olympique, une enquête a montré que la majorité des athlètes seraient prêts à consommer des substances afin d’optimiser leurs capacités physiologiques, même en sachant que ces produits laisseraient des séquelles physiologiques affectant leur longévité. Bref, ils seraient prêts à tout pour gagner, même au détriment de leur vie.

Alors qu’on vante les vertus de l’exercice physique, le Québec réduit le temps scolaire dévolu au sport…

C’est le monde à l’envers! Toutes les données épidémiologiques confirment les effets positifs de l’exercice physique sur le corps et sur l’esprit, et ceux, néfastes à long terme, de la sédentarité, de la malbouffe, etc. Hélas, l’école n’intègre pas ces données et réduit le temps consacré à l’activité physique. Que l’école n’encourage pas les jeunes à adopter très tôt de saines habitudes de vie, c’est à n’y rien comprendre.

Il faudrait aussi évoquer les bienfaits cumulatifs du sport et, à l’inverse, les effets néfastes de la sédentarité. Plus les années passent, plus l’impact physiologique est grand et plus il est difficile de se remettre en forme. On peut encore se débarrasser des 30 livres qu’on a en trop à 35 ans, mais ce sera plus difficile de le faire à 45 ans, avec 50 livres superflues, etc.

Faire de l’exercice relève désormais du libre choix de la personne…

Si chacun ne décide pas pour lui-même de s’occuper de sa santé par l’exercice physique, rien ne se passera, car tout concourt à nous rendre paresseux. D’où l’importance de trouver, ou de retrouver pour certains, un réflexe de combat en se disant: «Je ne serai pas la marionnette d’un système entretenu par la publicité qui veut me garder sédentaire et passif.»

Une prise de conscience personnelle est désormais nécessaire pour renverser la vapeur. Il faut choisir de se tenir en forme et se donner les moyens de bâtir cette qualité de vie à laquelle on aspire. Ensuite, il s’agit pour chacun de respecter son rythme, tout en gardant le plaisir dans l’effort.

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