La justice par le dialogue: un choix santé
Source : Profession Santé.ca
Par le Dr Robert Béliveau* et Me Michelle Thériault, professeure** le 31 janvier 2012 pour L’Actualité Médicale
Le monde change.
Les mentalités s’ouvrent.
Et c’est tant mieux. Un vent de fraîcheur, d’espoir et d’inspiration se fait sentir.
Un nouvel humanisme est-il en train de naître!?
On veut tous un monde plus humain, fondé sur des valeurs plus vraies : la compréhension, le respect, la dignité, l’ouverture, le sens de l’écoute et du dialogue. Il n’y a plus une seule, mais plusieurs façons de voir : le pluralisme est à l’ordre du jour et il convient de s’écouter. De s’entendre. Nos différends et nos différences sont aussi notre richesse. On souhaite comprendre l’autre, ne plus le juger. Finie la polarité où deux extrêmes s’affrontaient : les bons et les méchants, le noir et le blanc, le vrai et le faux, le gagnant et le perdant. L’intelligence émotionnelle (ou la relation à l’autre) prend enfin la place qui lui revient, c’est-à-dire aussi importante que celle de l’intelligence rationnelle.
Ce changement, voire ce renversement, affecte toutes les sphères de notre société, dont les grands piliers de la santé et de la justice. L’État-providence n’est plus. Le paternalisme non plus. Le citoyen (patient ou client) n’est plus un numéro ou un dossier pris en charge par le médecin ou l’avocat, mais un être humain à part entière qui doit être écouté, compris et informé pour mieux se prendre en main. Plutôt qu’être pris en charge.
Ce bouleversement ne se fera pas sans difficulté : se responsabiliser et devenir un adulte, autonome et
responsable, comporte aussi ses exigences. Un long processus mène à cette libération. Faire ses propres choix et prendre le contrôle de sa vie obligent à assumer ses décisions, alors qu’il est beaucoup plus facile de se laisser définir par l’autre et, advenant un échec, de reporter le tort sur cet autre. La bonne nouvelle, c’est que s’assumer (en plus de demander du courage) nous fait aussi éprouver un sentiment de satisfaction profonde dont on ne peut plus se passer une fois connu. Cet empowerment permet de contrer le sentiment d’impuissance face à une situation, reconnue comme une importante source de stress et même le plus grand facteur de dépression.
En octobre 2008 passait sur les ondes radiophoniques de Radio-Canada la très intéressante série Vivre
autrement, conçue par Mario Proulx et prônant une approche plus globale et intégrative de la santé. De
nombreuses études scientifiques s’accordent entre autres sur un point : il faut favoriser par tous les moyens à notre disposition la participation active de la personne « malade » aux processus décisionnels et aux processus de guérison. De nombreux invités, tant du monde de la médecine traditionnelle que des médecines complémentaires, ont livré leur témoignage sur l’impact qu’a eu sur eux la maladie, ainsi que les moyens qu’ils se sont donnés pour cheminer vers la guérison. En conclusion, ces deux mondes, celui de la médecine allopathique et celui des médecines complémentaires (souvent qualifiées par leurs adeptes de « douces ») proposent des approches différentes. On les a souvent opposés. On pourrait aussi les faire se rencontrer, dialoguer, s’apposer plutôt que s’opposer, pour le mieux-être de la personne malade. On voit bien que ces approches, chacune avec ses forces et ses limites, pourraient très bien coexister, et même s’enrichir mutuellement.
Dans cette série, on a aussi traité de l’importance du changement de rôles, du médecin tout autant que du patient. De nombreux témoignages ont révélé qu’un médecin vraiment efficace doit s’intéresser à la personne tout entière, sous toutes ses dimensions, tant physiques que psychologiques. Il doit aussi tenir compte de son histoire, de son hérédité, de ses émotions, de ses valeurs, de son contexte de vie. Non pas seulement traiter la maladie par la prise de médicaments. Il lui faut poser les bonnes questions pour comprendre le problème, mais aussi la source du problème, le pourquoi de la maladie. Agir localement, certes, mais aussi voir globalement, de façon large. Le rôle du médecin est de traiter la maladie, aussi de soigner, comprendre, accompagner et, quand c’est possible, promouvoir la santé et proposer des moyens de prévenir. Il doit informer son patient pour lui permettre de prendre la décision la plus éclairée possible. Il n’a plus le contrôle du dossier et n’est plus le maître incontesté du haut de sa chaire, avec sa science exacte. Ni sa réponse toute faite, automatique. Il accompagne le patient, l’invite à devenir un actant, le principal artisan de son processus de transformation, et fait équipe (partenariat) avec lui. De son côté, le patient devient plus responsable de sa santé, reconnaît que ses choix lui appartiennent et ils auront un impact sur sa santé. Il doit dorénavant se responsabiliser face à sa
santé en mettant en place les moyens mis à sa disposition et en accomplissant les gestes nécessaires pour prévenir la maladie tout autant que pour la traiter.
Le monde de la justice aussi évolue et prend un virage. Le 9 octobre 2008 avait lieu à Montréal la première journée Table ronde sur La justice participative, organisée par Stephen Schenke, alors bâtonnier du Barreau de Montréal. Celui-ci préconise qu’il faut transformer l’image de l’avocat guerrier en spécialiste de résolution de conflits. Le recours au tribunal devrait être envisagé en dernier ressort, après avoir tenté de résoudre le conflit par d’autres moyens priorisant le respect mutuel, la collaboration et le dialogue. Cet événement a réuni une trentaine des principaux acteurs de la communauté juridique (avocats plaideurs, avocats médiateurs, juges, professeurs et doyens des facultés de droit du Québec, administrateurs, représentants du ministère de la Justice au fédéral et au provincial, etc.). Objectif ? Discuter des moyens à prendre pour opérer ce changement majeur de perception dans le monde de la justice et dans la société. Il faut se réjouir, car le Barreau de Montréal en a fait une tradition et a décidé de renouveler cet heureux événement en 2009, 2010 et en novembre 2011.
Au moyen de la « justice participative », le citoyen est informé de ses droits et recours. Avec l’aide de son avocat, il a le choix du mode de résolution des conflits (notamment la négociation, la médiation et l’arbitrage). Il participe au choix du mode qui lui convient le mieux. Le procès est envisagé en dernier ressort et seulement dans les cas qui s’y prêtent. Il peut aussi participer activement à la recherche de la solution la plus satisfaisante plutôt que la solution imposée par un tiers (tel un juge). Le droit (regroupant dans nos lois et règlements des règles reflétant les valeurs préconisées par notre société) est un instrument essentiel et précieux pour la recherche de solutions justes et équitables, mais il n’est pas le seul remède. Des citoyens peuvent décider, dans certaines circonstances, de régler leurs différends par des notions d’équité et de gros bon sens plutôt que par l’application des règles de droit. Le rôle du juriste est élargi et transformé : il consiste à aider le client à trouver des solutions à son conflit, avec ou sans l’aide du droit. Il ne se limite plus à argumenter en droit, à avoir raison et à plaider devant le tribunal pour gagner sa cause. Contre l’adversaire.
Ce nouveau paradigme où le client se responsabilise face à son conflit fait son chemin, mais il faut convenir qu’il reste encore trop marginal. Le passage du système de justice fondé sur le modèle judiciaire (on règle le conflit en s’adressant au tribunal par la confrontation) à celui axé sur le modèle renouvelé (on règle le conflit par le mode le plus approprié dans les circonstances en favorisant le dialogue, par exemple, au moyen de la médiation) est pourtant nécessaire. Ce changement nous permet de contribuer à soutenir le développement social et l’amélioration des relations humaines (plutôt que d’attiser le conflit et d’en profiter pour se faire une réputation) dans notre société. Il contribuerait ainsi à une meilleure santé ainsi qu’à la qualité de vie des individus et de la société. En effet, d’importantes études récentes démontrent un lien entre les attitudes saines à privilégier face au règlement des conflits et la santé, physique et mentale, des citoyens.
* Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.
** Faculté de sciences politiques et de droit, Université du Québec à Montréal.