Récit d’une omnipraticienne atteinte du cancer du sein

Par Denis Méthot le 11 avril 2012 pour L’actualité médicale

«Quand j’ai lu “ganglion d’allure métastatique”, je me suis écroulée.»

À 41 ans, l’omnipraticienne Guylaine Doucet a reçu un diagnostic de cancer du sein, maladie qui l’a obligée à s’arrêter et à changer.

«!J’ai eu une biopsie le vendredi. Le lundi, je me suis présentée au travail. Mes collègues me regardaient l’air de dire!: “Qu’est-ce que tu fais ici!?” Je leur ai dit que je ne voulais pas virer folle à la maison. Dans pareilles circonstances, on fait ce avec quoi on est à l’aise. Moi, c’est la médecine. À l’hôpital, je me suis rendu compte que les rapports de la mammographie supplémentaire que j’avais passée étaient sortis. En utilisant mon code, je suis allée lire les résultats, même si ma bonne amie me déconseillait de le faire seule. Aujourd’hui, d’ailleurs, je ne recommande à personne de m’imiter ! Quand j’ai lu noir sur blanc, à l’écran, “ganglion d’allure métastatique”, je me suis écroulée. Je ne pouvais plus fonctionner comme médecin. Je ne pouvais plus faire le “caring” de qui que ce soit d’autre. J’étais obnubilée par ce que je venais de lire.
J’étais en mode de survie.!»

Chaque année, un peu plus de 6000 femmes reçoivent un diagnostic de cancer du sein au Québec. En 2010, la Dre Guylaine Doucet, omnipraticienne qui exerçait principalement en gériatrie à Gatineau, était du nombre. Son univers a complètement basculé après qu’on lui eut trouvé une tumeur de grade 3. Ses pires appréhensions des semaines précédentes se sont confirmées d’un seul coup. À 41 ans, un âge jeune pour cette maladie, elle était atteinte d’un cancer du sein, le plus malin qui soit de surcroît. Rien dans ses antécédents ne l’avait préparée à cette épreuve!: pas de cas de cancer du sein dans sa famille, elle s’alimentait bien, faisait de l’exercice autant que sa pratique le lui permettait, s’investissait à fond dans son travail. Sans doute trop, a-t-elle mesuré par la suite.Elle avait senti une petite bosse l’automne précédent, lors d’un auto examen, mais avait remis la chose au printemps suivant. À la faculté de médecine, on lui avait enseigné qu’un cancer du sein n’est pas douloureux, alors qu’elle ressentait une petite douleur. Ça ne devait donc pas être un cancer… Mais six mois plus tard, une évidence s’est imposée!: quelque chose n’allait pas, car la bosse avait durci. Elle a donc passé une série d’examens qui ont abouti au verdict, qu’elle s’était mise à appréhender.

Durant les semaines qui ont suivi le diagnostic, elle a ressenti un mélange d’angoisse et de colère. Angoisse, car on songe infailliblement à la mort, même si le taux de survie pour le cancer du sein demeure très élevé. Colère, car ce cancer du sein ne lui paraissait pas mérité. Parce qu’elle mène une bonne vie, se dévoue aux autres, parce que, parce que… Cent bonnes raisons pour lesquelles elle ne devait pas avoir de cancer du sein. Le diagnostic était pourtant là, implacable et bien réel quand elle l’a lu à l’écran. «!S’il y avait eu un “punching bag” dans le département, écrira-t-elle à propos de l’instant où la nouvelle s’est abattue comme un séisme, il aurait passé un sale quart d’heure.!»

La Dre Doucet a d’abord été opérée, puis elle a choisi de subir une mammectomie complète afin de ne laisser, si possible, aucune emprise au cancer. Six semaines plus tard, elle a entrepris une longue série de traitements de radiothérapie et de chimiothérapie dans le but de vaincre les dernières cellules cancéreuses présentes. La maladie l’a forcée à s’absenter du travail pendant 18 mois, puis elle a repris progressivement son travail, sans toutefois verser dans les mêmes pièges qu’autrefois, c’est-à-dire s’oublier complètement au profit des autres.

Sa propre expérience lui a tout de même donné envie de s’investir dans cette maladie qui s’est attaquée à elle. Elle a donc commencé à travailler à temps partiel dans une clinique de dépistage afin d’aider d’autres femmes. Elle se croit assez solide pour le faire, tout en se donnant le droit de se retirer, si elle sent que cette proximité l’affecte sur le plan psychologique.

Pour l’instant, la Dre Guylaine Doucet se dit heureuse et optimiste. Deux ans après les premières manifestations de la tumeur, les examens ont révélé qu’il n’y avait, pour l’instant, aucune trace de la maladie. La femme derrière le médecin se sent bien dans sa peau. Elle ne pense pas au cancer et ne ressent plus d’anxiété quand elle se voit dans le miroir, amputée, car elle a appris à accepter ce coup du destin et à passer à autre chose.

Avec le recul du temps, elle voit dans ce cancer un message extrêmement fort que lui a envoyé la vie pour l’obliger à ralentir, voire à s’arrêter, ce qu’elle n’avait jamais accepté de faire durant ses années de pratique. Comme beaucoup de médecins, relate-t-elle, elle continuait à fonctionner coûte que coûte et cherchait continuellement à dépasser ses limites. Inconsciemment, elle voulait imiter ses idoles en médecine, à en faire autant qu’elles, même si elle n’avait peut-être pas la capacité physique de le faire, mesure-t-elle aujourd’hui.

Elle était aussi tombée dans le piège du présentéisme, venant au travail malgré la fatigue extrême, malgré la mononucléose qui l’affectait. Même après l’apparition de la maladie, même quand ses propres médecins soignants ou collègues l’incitaient à décrocher, elle ne savait pas immobiliser la machine. Seul un diagnostic de cancer du sein y est parvenu. L’existence s’en sera durement chargée pour elle.

«!J’ai décidé de comprendre que mon corps m’a forcé à arrêter, puisque ma tête refusait d’obtempérer et que mon coeur était fermé à toute détresse autre que celle des autres!», écrit-elle. Elle en a payé le prix, mais, en même temps, cette expérience l’a complètement transformée. Tout en trouvant que cette maladie était très sournoise et injuste, elle l’a obligée à réfléchir sur sa vie, ses valeurs, la spiritualité. Elle a découvert le bouddhisme, la méditation. Médecin-patient, elle a compris la place et l’importance des émotions dans la maladie à partir des livres du Dr David Servan-Schreiber, en France, et de celui du Dr Christian Boukaram, au Québec, Le pouvoir anticancer des émotions. Au bout du fil, la Dre Guylaine Doucet, jeune survivante du cancer du sein à 43 ans, rayonne et irradie, même si elle ne sait pas de quoi l’avenir sera fait!: «!J’ai maintenant le sourire plus facile, je ressens une certaine légèreté. Autrefois, je regardais beaucoup derrière et devant moi, et j’oubliais de vivre. Maintenant, je regarde le moment présent. Je suis heureuse ici, maintenant, et j’essaie de ne pas regarder trop loin, en essayant de profiter de chaque minute au maximum.!»

Lire la suite du dossier «Cancer du sein»
Profession Santé 2013-11-02 11:54
http://www.professionsante.ca/medecins/infos-cliniques/champs-thera…lion-dallure-metastatique-je-me-suis-ecroulee-%E2%80%89-17773?copie