Ne privez pas les patients de se prendre en main!

Publié le par drboukaram

Certaines personnes ont une perception particulière par rapport au livre Le pouvoir anticancer des émotions. Elles s’imaginent que les émotions causent le cancer, que l’on peut guérir par la pensée positive ou par la pensée magique. Ceci est, en fait, une interprétation erronée du titre. D’autres ont de la difficulté à concevoir les avantages de thérapies complémentaires en santé (qui agiraient comme compléments aux traitements curatifs médicaux).

Voici comment une docteure, devenue patiente, réagit par rapport à ces propos.  Elle traduit la réalité des patients atteints de cancer et faisant face aux soins de santé actuels.

Ne privez pas les patients de leur pouvoir de se prendre en main

Par: Dre Guylaine Doucet

le 15 février 2012 pour L’actualité médicale 

Je me permets de réagir à la lettre que mesdames S., T. et A. ont soumise au courrier des lecteurs (L’actualité médicale, 18 janvier 2012, p. 4), alléguant solennellement l’absence de pouvoir anticancer des émotions. Nous savons bien qu’il est difficile de faire des études irréfutables en ce domaine. Nous sommes bien loin des études de cardiologie. Et sans avoir la moindre expertise en cancérologie, permettez-moi de partager ceci avec vous.

Avril 2010 : ma vie bascule. Je viens de me découvrir un ganglion, puis une masse au sein. Mai 2010, les traitements commencent. Je résiste à la tentation d’aller tout lire sur le sujet à la bibliothèque de l’hôpital où je travaille. Je suis en proie à une grande impuissance. Je suis très bien soignée, mais je ne sais pas comment être une patiente.

Mon médecin de famille m’offre le livre de David Servan-Schreiber. C’est le début d’un long cheminement, de multiples lectures, d’un suivi en psychologie. Je passe d’une patiente qui reçoit des traitements à une patiente qui a le sentiment qu’elle participe à sa récupération. Je n’ai jamais senti avec autant d’acuité que j’avais du pouvoir sur ma vie.

J’apprends à m’aimer assez pour vraiment bien manger, pour faire de l’exercice quotidiennement, pour explorer ma spiritualité et pour régler tout ce que j’avais balayé sous le tapis. Je me donne le droit de tout remettre en question. Je n’avais pas besoin d’une certitude que le stress ou les émotions négatives puissent causer le cancer. Le simple doute qu’ils puissent avoir une certaine influence sur mon « terrain » me suffisait pour générer une réflexion et amorcer un changement. Chaque beau geste que je pose envers moi-même me remplit de gratitude. Les moments de doute et de noirceur sont observés avec plus d’indulgence. Les patients qui souffrent de la « tyrannie de la pensée positive », comme l’a déjà dit Mme Savard en entrevue, n’ont peut-être pas eu la chance d’avoir accès à un centre de thérapies complémentaires gratuit comme le centre C.A.R.M.E.N., en Outaouais, que je fréquente à raison d’une journée par deux semaines depuis juin 2010.

Massothérapie, art-thérapie, psychothérapie, méditation et thérapie par jeu de sable sont désormais des outils indispensables pour moi. Et si la tristesse ou la colère m’habitait par moment, je m’y sentais accueillie et écoutée. L’expérience des autres participants est précieuse; la sérénité peut être très contagieuse. Nous y explorons des méthodes pour gérer le stress et les émotions, pour goûter l’instant présent. Je suis personnellement convaincue qu’un corps et un esprit en cohérence guérissent mieux.

Ce centre fonctionne en complément du système de santé québécois. Il n’est financé que par des dons publics. Je suis reconnaissante d’avoir eu accès à ces services, et de ne pas avoir eu peur d’en bénéficier parce que j’étais docteur, avec la réticence à me dévoiler qui me caractérise.

La médecine a déjà trop souvent tendance à occulter le pouvoir du patient dans sa guérison, pour ne voir et ne mesurer que l’effet des diverses interventions et médications. J’aurais ressenti une réelle détresse si tout ne s’était joué que dans la chimio, la radio, les médicaments, bref tout ce sur quoi je n’avais que bien peu de contrôle. L’idée que les émotions puissent avoir eu un rôle dans mon état ne me surprenait pas vraiment et n’engendrait qu’un bref sentiment de culpabilité; elle m’offrait surtout une chance inouïe de changer. Et si, dans quelques années et après de grosses études randomisées, on me prouve qu’il n’en est rien, et bien, l’effet secondaire de ces changements sur ma vie aura été des plus bénéfiques. J’aurai la satisfaction, quelle que soit l’issue de ma santé, que j’aurai fait de mon mieux.

Les patients ont certes besoin d’être guidés dans leur interprétation de ce que plusieurs livres décrivent en regard de l’impact des émotions sur le cancer. Malgré tout, ne les privez pas de leur pouvoir de se prendre en main.

Et surtout, gardons une grande humilité face à l’ampleur de tout ce que nous ne savons pas.

 Dre Guylaine Doucet
Omnipraticienne Gatineau, Québec, Canada.

Commentaire:

Je tiens à remercier Dre Doucet d’avoir pris le temps de composer cette lettre qui traduit son point de vue comme patiente.  Suite au perfectionnement des outils médicaux conventionnels, nous avons augmenté la survie des patients atteints de cancer. Le nombre de survivants du cancer ne fait qu’augmenter. Est-ce que les traitements médicaux classiques, traitant la maladie physique, garantissent une cure? Bien sûr que non. Nous ne pouvons pas assurer aux patients que la maladie n’existe plus, qu’il n’y a pas de “petites cellules microscopiques” se promenant dans leur corps et pouvant mettre leur vie en jeu. On ne promet jamais rien en oncologie, car les résultats sont imprévisibles. Le cancer est une maladie beaucoup trop complexe pour pouvoir prédire son dénouement avec exactitude.  Le cancer est maintenant une maladie chronique.

Et si, en plus de traiter la maladie physique des patients avec des méthodes classiques, on soulageait AUSSI leurs souffrances psychiques? Et si on s’attardait AUSSI à leur qualité de vie? Est-ce que la combinaison de ces deux composantes importantes de la santé peut garantir une cure? Bien sûr que non, pour la même raison citée ci-haut. On ne peut pas prédire le comportement de la maladie avec exactitude. Nos connaissances ne sont pas encore aussi évoluées.

Mais est-ce que soulager les souffrances des patients peut améliorer le potentiel de guérison ? Bien sûr que oui.  Les traitements classiques traitent la tumeur, alors que l’amélioration de la qualité de vie permet d’améliorer l’environnement dans lequel loge la tumeur – la personne. Le résultat au niveau de la guérison, bien qu’il soit majoré, est toujours aussi imprécis. Par contre, on peut se réjouir de contribuer à la qualité de vie des gens, d’agir comme des êtres humains, d’avoir de la compassion, de les soigner et de les accompagner durant leur trajet. Et eux, ont alors une plus grande facilité à retrouver la sérénité, la paix intérieure, tout en étant réalistes et informés.

Le but n’est pas de les rendre “ extatiques “ afin qu’ils guérissent de leur maladie. Le but est de diminuer la détresse qu’engendre le cancer, ses répercussions psychiques, comportementales, sociales et existentialistes.

Mais je comprends aussi qu’il est tout de même du rôle des professionnels de la santé de prévenir les gens de certains dangers reliés à une croyance trop simpliste. Le cancer n’est pas une maladie psychologique. C’est une maladie multifactorielle et l’on ne peut donc pas guérir par la pensée magique. Les thérapies complémentaires permettent d’améliorer la qualité de vie des patients, tout en jouant sur le terrain de la maladie. Elles permettent aux patients de participer à leur thérapie conventionnelle et leur permettent aussi de renouer avec leur puissance intérieure, de retrouver l’espoir et la foi.

En oncologie, notre attention et nos recherches sont surtout dirigées vers la guérison de la maladie physique.  La souffrance psychique n’est pas assez prise en charge.  Nous négligeons ainsi le patient et la détresse qu’il ressent. Je le sais, parce que je travaille dans ce domaine. Je le sais, parce que j’ai, moi-même accompagné des amis proches dans leur cheminement oncologique et cette détresse qu’ils ressentaient les rendant fragiles, n’étaient manifestement pas pris en charge adéquatement. Certains de mes patients tombent dans les mains de charlatans, tout simplement, car le système de santé ne prend pas en considération leurs vrais besoins.[1] Mettre en péril la croyance des patients ne leur est pas très bénéfique, parce que les patients ont besoin d’entendre qu’on croit en eux et qu’ils sont capables de se reprendre en main, d’être aussi responsables de leur santé.  Nous pouvons maintenant les guider vers des traitements prouvés par la science qui peuvent diminuer leur détresse et potentialiser les traitements conventionnels.

Notre travail primordial en tant que médecins, n’est pas de garantir une guérison aux patients, mais initialement, de ne pas nuire. La détresse, elle, ne peut que NUIRE aux résultats médicaux, selon une quantité importante de travaux scientifiques.[2],[3],.[4]Étant un médecin oncologue, et travaillant tous les jours avec les patients atteints de cancer, ignorer cette problématique va à l’encontre de mon devoir.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *